Selon la croyance populaire, les entreprises ne s’intéressent qu’au profit et consomment des ressources naturelles sans réfléchir aux effets à long terme, ni sur l’environnement, ni sur la société.
Les débats menés à l’occasion de la 10ème conférence internationale de l’Institut Veolia en novembre semblent indiquer le contraire. Les intervenants, notamment venant de chez Rolls-Royce ou Veolia, ont insisté sur l’intention de leurs entreprises de trouver des solutions aux problèmes matériels posés par la disponibilité des ressources. Ils ont ainsi présenté des innovations techniques ou de nouveaux modèles économiques, et évoqué les obstacles auxquels ils étaient confrontés, notamment les mesures dissuasives financières ou réglementaires.
Quelles innovations promettent d’encourager et d’optimiser la disponibilité des ressources ? Que peuvent faire les chercheurs, les entreprises et les politiques pour tenter de surmonter les obstacles existants, afin d’encourager ces innovations et d’accélérer la transition vers une économie bas carbone ?
Des modèles économiques innovants. Rolls-Royce dispose d’un modèle de contrat basé sur la performance, par lequel les clients des compagnies aériennes paient un prix fixe pour chaque heure de fonctionnement des réacteurs. De tels contrats préservent les clients contre d’éventuelles défaillances de l’équipement. Ils présentent aussi l’avantage d’inciter Rolls-Royce à entretenir et prendre soin de ses réacteurs, mais aussi à concevoir des moteurs modulaires, dont les pièces sont faciles à remplacer.
Toutefois, si le fait de repenser les modèles économiques peut déboucher sur des innovations intéressantes en matière de ressources, cette démarche s’accompagne parfois de certains compromis. « Les réacteurs et appareils récents, qui sont plus légers et plus économes en énergie, qui sont fabriqués à partir de matériaux composites et utilisent une propulsion distribuée, sont plus difficiles à démonter et à recycler », explique Andrew Clifton, responsable du développement durable de Rolls-Royce. Seulement 65 % des éléments de ces nouveaux avions seraient recyclables, contre 95 % de ceux d’aujourd’hui. Il existe ici une véritable contradiction entre l’accroissement de la circularité des matériaux et la réduction de l’empreinte carbone.
Des solutions techniques qui manquent encore d’envergure. Veolia développe une base de données sur les matériaux recyclés. Son objectif : organiser et systématiser un processus de mise en relation entre le besoin industriel d’une matière première secondaire et un potentiel technique contenu dans les déchets. Toutefois, comme le flux de déchets évolue en permanence, les matières premières secondaires potentielles satisfont rarement les volumes et la prévisibilité exigés par les clients industriels. En revanche, les sociétés minières classiques ont l’avantage de traiter des millions de tonnes de minerai chaque année.
Un élan pour l’innovation en matière d’économie circulaire
Certaines innovations ont besoin d’un coup de pouce pour pouvoir décoller et être correctement évaluées. Les intervenants de la conférence ont donné quelques exemples :
Premièrement, des outils d’analyse et de modélisation sont nécessaires (et dans une certaine mesure, disponibles) pour évaluer la criticité et la durabilité des matériaux et faire des recherches sur les conséquences des nouveaux procédés et technologies sur la demande de matériaux. (Selon l’un de ces modèles, une économie 100 % renouvelable aurait pour limite une production d’électricité de 12 térawattheures, en se basant sur les réserves actuelles de matériaux tels que le cuivre, le lithium et le nickel.) Certains outils peuvent aussi aider les fabricants et les concepteurs à comparer la chaîne d’approvisionnement et les risques environnementaux, à optimiser les pièces destinées au reconditionnement et à identifier des stratégies de conception circulaire prometteuses.
Dans le même ordre d’idées, la collecte et la gestion de données sur l’infrastructure, les produits et les déchets existants permettrait d’améliorer considérablement la gestion des matériaux au cours de leur vie. Les bâtiments, par exemple, ont une durée de vie très longue, explique Nitesh Magdani du Royal BAM Group, une entreprise de construction néerlandaise : « 85 % du bâti actuel sera encore là dans 50 ans ». Bien sûr, les déchets issus de la démolition peuvent retourner dans le béton. Mais disposer d’informations bien gérées sur les matériaux de construction pourrait permettre aux futurs propriétaires ou occupants de réutiliser ou de recycler ces matériaux à valeur ajoutée.
D’autant que les données peuvent apporter de la valeur au client, ce qui peut renforcer la viabilité de certains modèles économiques. Par exemple, une nouvelle génération de réacteurs d’avion pourrait être en mesure de surveiller et de transmettre des données de vol, suggère Walter Stahel, expert en économie circulaire. De plus, la gestion des données et des informations s’accompagne d’une plus grande implication de la part des clients : ils se renforcent mutuellement.
Sur le front du secteur public, la recherche financée par des fonds publics et des concours tels que le Faraday Challenge de l’agence britannique d’innovation, qui vise à redéfinir la technologie des batteries électriques, a pour objectif ultime d’aider les nouvelles technologies et les nouveaux modèles à se développer pour devenir commercialement viables. Les marchés publics constituent un autre outil puissant pour encourager l’innovation, déclarent les intervenants. Ils peuvent fonctionner à différentes échelles : municipale, nationale, voire à l’échelle d’une région du monde, comme les procédures de passation de marchés réglementées par l’UE. Des politiques de tarification du carbone plus strictes auraient également un effet significatif sur l’économie des matériaux stratégiques. Elles renforceraient aussi la compétitivité des ressources secondaires, tout en accélérant la transition vers une économie sobre en carbone.
À plus grande échelle et à plus long terme, le professeur Paul Ekins, de l’University College London, a présenté une proposition d’innovation politique selon laquelle les vendeurs sont responsables des matériaux de leurs produits et vendent leurs produits en tant que service. Sa proposition, sélectionnée comme une innovation majeure lors du récent concours LAUNCH, devrait inciter les concepteurs et les fabricants à réfléchir davantage au sort des produits en fin de vie.
Les différents intervenants, issus du monde de l’entreprise ou de la sphère universitaire, ont insisté sur la nécessité de formuler des politiques reflétant l’état actuel de la technologie, afin de ne pas pécher par excès ni par manque d’ambition. « Nous devons faire en sorte que les approches ascendantes et descendantes se rejoignent », explique Amir Rashid, de KTH, qui coordonne le programme de l’Union européenne ResCoM, Instaurer une économie circulaire en réduisant les déchets. « On ne peut plus se contenter de dire ‘c’est une question d’économie, de technologie ou de politique’ ».
Cet article est tiré des débats lors de la conférence « Strategic Materials for a Low-Carbon Economy: From scarcity to availability », organisée conjointement par l’Institut Veolia et Oxford Martin School en novembre 2017.