Quand on réfléchit à la disponibilité des ressources, la culture de la consommation dans le monde développé est une cible facile. Et l’exportation de cette culture entraînera forcément la raréfaction desdites ressources. Si les consommateurs de la classe moyenne émergente en Chine, en Inde et ailleurs se mettent à consommer comme l’Américain ou le Koweïti moyen (la liste d’exemples peut encore s’allonger), alors nous aurions besoin des ressources écologiques de 4 à 6 planètes Terre.
Pas si vite. Et si l’ingéniosité humaine pouvait évoluer vers une culture capable d’améliorer la disponibilité des ressources ? Au cours d’une intervention publique lors de la Conférence sur la disponibilité des ressources de l’Institut Veolia et de l’Oxford Martin School en novembre 2017, Lord Nicholas Stern a souligné que la Chine et l’Inde étaient déjà en route vers des politiques plus vertes. Les deux pays étudient, par exemple, la possibilité d’interdire les véhicules à combustibles fossiles dans les décennies à venir. Et si ces pays allaient jusqu’à adopter des modes de vie plus verts ?
A l’occasion de son discours de clôture, Antoine Frérot, PDG de Veolia, a souligné qu’au cours de l’histoire, les pressions sur les ressources avaient souvent permis à l’humanité d’imaginer de grandes innovations, dans des domaines aussi variés que l’agriculture ou le commerce. « Jusqu’à aujourd’hui, l’humanité a toujours trouvé le moyen de surmonter les obstacles successivement placés sur son chemin par des restrictions de différentes natures. Et si c’était à nouveau le cas ? »
La consommation n’est qu’un aspect des évolutions culturelles systémiques nécessaires à la transition vers une économie sobre en carbone. Au sein des différents secteurs, des évolutions culturelles commencent à apparaître.
Tirer parti des bouleversements culturels dans les différents secteurs
Qu’est-ce qui pourrait modifier en profondeur la manière dont les gens utilisent les ressources ? Lors de la conférence sur la disponibilité des ressources, des intervenants comme Bernice Lee, du Hoffman Centre for Sustainable Resource Economy de Chatham House, ont évoqué l’évolution démographique, le vieillissement, l’augmentation des ménages unipersonnels et l’économie du partage. Ces différents facteurs modifient déjà la manière dont les gens réfléchissent à la consommation.
La technologie intelligente est un catalyseur particulier. « L’avenir de la mobilité ne viendra pas des voitures recyclables ou en circuit fermé, explique Martin Stuchtey, cofondateur de Systemiq. Il passera par une meilleure réflexion sur les schémas de transports quotidiens, notamment sur l’automatisation. » Aujourd’hui, grâce aux données, aux algorithmes et aux smartphones, il est aussi simple d’utiliser le covoiturage ou les transports en commun que sa propre voiture. Et bientôt, votre taxi sera peut-être sans chauffeur…
Cela ne signifie pas pour autant que nous devons arrêter de recycler les voitures. « Nous ne devons pas nous contenter de veiller à l’efficacité des systèmes, mais passer en revue tous les leviers de productivité des ressources », explique Martin Stuchtey.
De la même manière, Jaakko Kooroshy, Directeur exécutif de l’investissement mondial chez Goldman Sachs, suggère que les technologies intelligentes seront un élément essentiel de la baisse de la consommation énergétique, et donc que les technologies basées sur les énergies renouvelables seront moins gourmandes en ressources. Un scénario présenté par l’équipe en charge des services publics chez Goldman Sachs montre que s’il devient possible de déployer le rechargement intelligent, alors aucune capacité de production d’énergie supplémentaire ne sera nécessaire d’ici à 2050.
Une autre manière d’effectuer le changement consiste à repenser la culture d’un secteur et à combler les vides. Vernon Collis, consultant en ingénierie et en architecture, a mis le doigt sur les limites de ces deux disciplines. Selon lui, les architectes « commencent par concevoir et essaient ensuite de faire en sorte que les matériaux s’adaptent au projet ». En revanche, les ingénieurs et les spécialistes techniques omettent d’examiner le contexte social et historique des problèmes qu’ils essaient de résoudre. Généralement, ni les uns ni les autres n’ont suivi une formation complète sur le cycle des matériaux, ajoute-t-il.
Le secteur manufacturier aurait bien besoin, lui aussi, d’une évolution culturelle, notamment vers une meilleure prise en compte de la fin de vie des produits, suggère Richard Kirkman, Responsable technologie et innovation de Veolia UK. Les fabricants pourraient travailler en lien plus étroit avec les recycleurs. Cela pourrait les inciter à simplifier les produits complexes et à les concevoir pour qu’ils soient plus facile à démonter, à reconditionner et à recycler.
Des avantages partagés : le cas surprenant de l’industrie minière
Historiquement, l’industrie minière entretient des relations complexes avec les communautés locales. Jennifer Broadhurst, de l’initiative Minerals to Metals de l’Université du Cap, a relaté la manière dont l’exploitation minière avait accéléré l’accaparement des terres, encouragé la corruption politique, exploité les travailleurs et pollué les sols et l’eau, en Afrique du Sud et dans d’autres pays. « La plupart des communautés voient plutôt le côté négatif que le côté positif de l’exploitation minière », explique-t-elle.
Pourtant, aujourd’hui, dans le cadre d’un virage important vers une culture collaborative, l’industrie minière commence à travailler avec les communautés et les gouvernements afin de prendre des mesures concrètes pour protéger les ressources. En Afrique du Sud, par exemple, certaines mines de platine de la compagnie Anglo American utilisent de l’eau traitée provenant des villes voisines dans ses processus d’extraction du minerai, ce qui réduit l’utilisation de l’eau potable. Par ailleurs, l’entreprise aide les villes à développer et moderniser les installations d’approvisionnement et de traitement de l’eau.
Pourquoi cette transformation ? Tout est affaire de risque, explique Jennifer Broadhurst. La demande en eau de l’industrie minière peut drainer et polluer les ressources locales, et donc affecter les moyens de subsistance des communautés agricoles environnantes. Cette situation peut dégénérer en conflit avec les communautés, les gouvernements et d’autres secteurs économiques, ce qui met en péril les autorisations des compagnies minières. Car les gouvernements répondent bien souvent aux inquiétudes de la population par des réformes et un durcissement des réglementations. Franck Galland, spécialiste de la sécurité de l’eau, ajoute que le prix de l’eau pour les entreprises est relativement bas, mais que le coût du risque associé à l’eau est très élevé.
Les villes en tête de file
Les villes seront des sites pilotes pour de tels bouleversements culturels, et les épicentres de leur développement, expliquent les intervenants de la conférence, en citant de nombreux exemples. Il est possible de repenser l’utilisation grandissante du ciment dans les logements de la classe moyenne des villes en développement, d’anticiper le reconditionnement des matériaux et même de réfléchir à la planification des environnements urbains. Les villes représentant environ 3 % de l’utilisation des terres mais consommant 75 % des ressources, les économies d’échelle potentielles sont considérables.
Les villes sont en effet au cœur de la transition vers l’économie circulaire et sobre en carbone, explique Lord Stern dans son discours. Le monde en développement, qui suit un processus d’urbanisation effréné, est aujourd’hui plus ouvert que jamais aux opportunités associées à la disponibilité de ressources sobres en carbone. Comme il le fait remarquer, les nations en développement ont adhéré sans restriction à l’Accord de Paris, alors qu’elles auraient pu résister à la transition bas carbone, comme s’il s’agissait d’une conspiration destinée à limiter leur développement.
« C’est désormais une histoire de responsabilité partagée », a déclaré Lord Stern.